LE PROJET SANCTUAIRE : REPORTAGES 

REPORTAGE INTÉGRAL

Patagonie australe & Terre de feu

2010 – Chili et Argentine

La Patagonie désigne les régions de l’Amérique du Sud situées sous le 40° de latitude, soit a quelques 600 km des capitales argentine et chilienne de Buenos Aires et de Santiago. L’extrême sud de ce territoire de steppes et de montagnes, la Patagonie australe, jouxte la bordure septentrionale du détroit de Magellan, frontière naturelle avec la Terre de Feu, encore plus sauvage et moins explorée. La Terre de Feu s’étend jusqu’au Cap Horn, à l’orée du cercle polaire antarctique.

Ici, la cordillère des Andes s’estompe progressivement pour céder le pas a un gigantesque dédale d’archipels et de chenaux. Vents permanents, précipitions abondantes, reliefs et glaciers escarpés, forêts tourmentées suspendues aux parois des grands fjords… tout est extrême ! Et la nature, par le sentiment qu’elle inspire, nous fait comprendre que l’homme n’a plus vraiment sa place en ces lieux.



Terre de feu, archipels du Pacifique

Parc national des Torres del Paines


Brassé par les courants océaniques, le plancton entraîne dans son sillage quantité d’espèces de poissons, d’oiseaux et de cétacés qui font de cette région un sanctuaire naturel d’une inestimable richesse. Lions de mer, dauphins, pingouins et albatros croisent dans ces eaux froides à la recherche de nourriture, utilisant les passes et les détroits pour migrer d’un océan à l’autre.


Ile Magdalena, canal de Magellan  Dauphin de Peale,
canal Beagle
Lion de mer ou Otarie à crinière, canal Beagle
   

Le long de côtes et dans les terres, la flore s’est adaptée à la rigueur du climat et à l’austérité des reliefs. Echevelées par la violence des bourrasques, les grandes forêts primaires colonisent les pentes les plus raides tandis que les plantes pelotonnées en coussinet et les buissons épineux composent les landes du bord de mer. Les cuvettes et les fonds de vallées sont recouverts de marécages, de tourbières ou de prairies humides qui attirent de nombreuses espèces d’oiseaux. En revanche, les mammifères sont assez rares, excepté le castor très rependu en Terre de feu et le guanaco, un cousin du lama, qui étend son aire des Andes au cap Horn. Le renard, assez commun dans le nord de la Terre de Feu et le puma que l’on rencontre exclusivement en Patagonie, sont les seuls prédateurs terrestres de grandes tailles.


GuanacoOuette des AndesEntrée Ouest du canal Beagle
    

Haut lieu de l’exploration maritime, cette pointe de continent charnière entre le Pacifique et l’Atlantique, se découvre comme un grand livre d’histoire que l’on feuillète au gré de sa toponymie magique et singulière; Canal Beagle, Détroit de Magellan, Cordillère de Darwin, Cap Horn… En 1520 l’explorateur portugais Ferdinand Magellan ouvre la voie qui permettra de relier les deux océans par le sud, le Cap Horn n’ayant pas encore été découvert. Il faut attendre 1616 pour que Schouten et Lemaire doublent ce « rocher » tant redouté des navigateurs. Deux siècles plus tard, le jeune naturaliste britannique Charles Darwin s’embarque sur le Beagle, commandé par Robert Fitzroy, pour sillonner les côtes de la Patagonie et de la Terre de feu. L’exploration de cette partie du monde est loin d’être achevée et la nature s’exprime ici avec tant de force et de souveraineté que de nombreuses contrées demeurent encore des « zones blanches » sur les cartes de géographie.

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Entrée Ouest du canal Beagle, îles du PacifiqueCanal Beagle Ile Navarino
   

Au début du 16ème siècle (lors du passage de Magellan) les habitants de cette région rencontrent pour la première fois des européens. Plusieurs tribus se partagent alors le territoire. Pêcheurs ou chasseurs-cueilleurs, ces peuples vivaient quasiment nus en s’enduisant le corps de graisse de phoque. Certains d’entre eux, les Yamanas, avaient pour habitude de transporter le feu dans leurs canoës. Ce qui ne manqua pas d’étonner les premiers voyageurs. Ils avaient développé un langage complexe et leur culture était très évoluée.

Mais comme un peu partout dans le reste de l’Amérique, les aborigènes étaient considérés comme des sous-hommes. Même Darwin fit preuve d’un grand dédain à leur égard. Les autochtones gênaient les conquistadors et les colons qui entamèrent une véritable campagne d’extermination. Après 150 ans de conquête effrénée et d’une chasse à l’homme d’une rare atrocité, les pionniers finirent par s’emparer de la terre des indigènes pour établir des estancias et y élever du bétail. Au massacre des indiens d’Amérique du Nord, répondit celui de ceux du Sud, de l’Amazonie au Cap Horn… Le peuple Fuégien serait le seul a avoir été complètement exterminé par les européens. Un génocide sans précédent dans l’histoire des colonisations.


Indiens Yagans

En dépit de son éloignement et de la représentation idyllique qu’elle inspire, cette extrémité de la Terre, « el fin del mundo » des Argentins, subit déjà les affres du « progrès » et de la crise écologique planétaire. Nation des gauchos et des étendues infinies, synonyme de liberté et de nature indomptée, le sud de la Patagonie attire de plus en plus de visiteurs. Pour le moment, cette vague de voyageurs venant du monde entier se concentre essentiellement dans le secteur des parcs nationaux. Ces sites d’une grande beauté, dont certains sont classés au patrimoine mondial de l’humanité, étaient hier parcourus par des montagnards chevronnés mais s’ouvrent peu à peu à un tourisme de masse, plus invasif, qui risque à terme d’engendrer d’importantes dégradations environnementales.
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Patagonie australeLes Torres del Paines


En mer, les fermes de salmoniculture fragilisent et contaminent les écosystèmes préservés dans lesquels elles sont implantées par le rejet d’antibiotique et de concentré protéiné. Par ailleurs, une maladie virale, l’anémie infectieuse du saumon, à également été introduite dans ces eaux vierges par la pisciculture. Des scientifiques se sont récemment aperçu que les filets de protection qu’utilisent certaines fermes aquacoles sont autant de pièges pour les jeunes otaries qui s’y emprisonnent.

Les eaux patagonnes, très riches en ressources halieutiques et en espèces marines, dont les cétacés, n’échappent pas à l’exploitation abusive des armadas de pêche qui pillent les océans du globe, sans se soucier ni des lois, ni des animaux prélevés. Malgré le moratoire prononcé par la CBI (commission baleinière internationale) interdisant la chasse aux grands cétacés, 30 000 baleines ont été assassiné depuis 1986.


Baleine de Minke dans le détroit de MagellanEntrés Ouest du canal Beagle


Les calottes groenlandaise et antarctique ne sont pas les seules étendues glaciaires continentales à souffrir du réchauffement climatique. Comme la plupart des glaciers de la planète (Alpes, Himalaya, Amérique du Nord…), 95% des champs de glace de cette partie des Andes décroissent à un rythme record comme en témoigne l’état actuel du glacier Martial, situé en amont de la ville d’Ushuaia, réduit à la taille d’un grand névé.



Glacier Grey, Patagonie australe Glacier de la cordillère de Darwin,
canal Beagle

Vu de nos latitudes, le « trou » de la couche d’ozone semble positionné sur le pôle sud, très loin du monde des hommes… Pourtant, cette zone fragilisée du bouclier atmosphérique se déplace périodiquement en fonction des saisons. En octobre 2000, elle était située à l’aplomb la ville de Punta Arenas au Chili, sur la rive nord du détroit de Magellan. D’octobre à janvier, c’est-à dire de la fin du printemps au début de l’été austral, le sud de la Patagonie et l’ensemble de la Terre de Feu sont exposés à un rayonnement UV extrêmement nocif. Médecins et scientifiques ont constaté une importante augmentation des cancers de la peau et des lésions oculaires chez l’homme, mais aussi chez les animaux sauvages et domestiques. Devenues aveugles, certaines espèces de poissons ne sont plus en mesure de différencier leurs proies des prédateurs, au point de désynchroniser les chaînes trophiques, tandis que les éleveurs de bétail sont aujourd’hui contraints d’appliquer un antibiotique sur les yeux des animaux afin de les protéger des glaucomes.

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Patagonie australePunta Arenas et rive nord du canal de Magellan

Des études ont récemment démontré (le sujet faire encore débat) que l’accroissement du rayonnement solaire perturbe la photosynthèse marine (conséquence sur la croissance des algues) et engendre des mutations génétiques sur les larves et les œufs des poissons, ainsi que sur les embryons des vertébrés. S’ajoute aux effets des UV, celui de l’augmentation des températures de l’eau qui influerai sur le développement du Krill, l’un des premiers maillons des chaînes alimentaires marines.


Manchot de Magellan

En 1946, les argentins ont introduit 25 couples de castors canadiens en Terre de Feu dans le but de développer l’économie de la fourrure. Comme les températures hivernales de ces latitudes sont plus élevées que celles des forêts boréales, le castor fuégien n’à pas eu besoin de produire autant de poils que son cousin canadien pour se protéger du froid. Si bien que la chasse au castor n’a jamais pu réellement démarrer. L’échec fut total. On ne connaît pas précisément les chiffres, mais toujours est-il que la Terre de Feu hébergerait aujourd’hui quelques dizaines de milliers de couples. Les colonies s’installent partout où il y a de l’eau et débitent de façon systématique les forêts alentours pour créer des lacs et des barrages. Les arbres qui ne sont pas abattus pourrissent par les racines et transforment les forêts en cimetières de bois mort qui se décompose très lentement à cause du climat froid. Les écosystèmes sont d’autant plus déstabilisés que dans cette région le castor n’a aucun prédateur naturel. Le castor aurait récemment traversé le canal de Magellan pour gagner la Patagonie…

Cet exemple illustre la problématique des espèces invasives, animales ou végétales, microscopiques ou de grandes tailles, qu’elles soient ou non introduites délibérément par l’homme.


Barrage de castors dans le parc national de la Terre de feuL’œuvre du castor

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Confetti de nature sauvage traqué par une civilisation prédatrice, le modèle de la Patagonie australe et de la Terre de feu confirme une fois de plus le sort que le progrès réserve aux derniers espaces « vierges » de la planète. A l’instar des régions arctiques, de Bornéo ou de l’Amazonie, ce bout du monde est aujourd’hui assiégé par une civilisation vorace qui guette la moindre percée pour l’asservir et l’anéantir. Agressions frontales par l’exploitation effrénée des ressources minières, empoisonnement insidieux du milieu avec la pisciculture ou invasion graduelle d’un tourisme déferlant… le processus de destruction est à peu près toujours le même, et le sursis dont jouit encore aujourd’hui ce sanctuaire s’égrène chaque jour un peu plus. 

Ile Navarino

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