Natures extrêmes en
sursis
Les milieux naturels extrêmes
La planète possède une dizaine de milieux naturels terrestres et
aquatiques : forêts, lacs, montagnes, prairies, etc. Un milieu
s’identifie par ses paramètres météorologiques et atmosphériques, par
sa topographie et sa composition chimique. Chaque milieu abrite des
espèces animales et végétales qui lui sont propres. Ces organismes,
associés à leur environnement, forment les écosystèmes.
Pour vivre, la plupart des espèces ont besoin d’un milieu au sein
duquel les paramètres environnementaux ont une valeur moyenne. Dès que
l’un d’eux sort de la norme - humidité excessive, sécheresse,
altitude élevée, froid glacial - l’environnement devient extrême. Les
régions polaires, les déserts et les milieux arides, les forêts
tropicales et les montagnes, sont donc des milieux extrêmes.
Au regard des sociétés industrialisées, ces ultimes sanctuaires de
nature sauvage, souvent inaccessibles mais fascinants, sont aujourd’hui
devenus les emblèmes de la protection environnementale planétaire. Mais
attention, ils ne constituent pas seulement le décor exotique de notre
monde. Ces grands écosystèmes sont aussi les piliers de la stabilité
écologique planétaire. Situés, pour la plupart, aux antipodes de notre
cadre de vie, ils sont, par leur relation d’interdépendance, intimement
liés à notre quotidien.
L’eau qui baigne nos côtes et l’air que nous respirons sont un jour
passés par les pôles, de même qu’une partie des résidus toxiques que
nous produisons finira par contaminer les régions les plus reculées de
la Terre.
Les régions polaires
Soumis à un climat extrêmement rigoureux et situés aux deux extrémités
du globe, ces territoires immaculés sont constitués de glace et de
terre ferme. L’Arctique, au nord, est un océan entouré de terres.
L’Antarctique, au sud, est une terre entourée de mers. Les régions
arctiques sont faiblement habitées et couvrent une surface totale de
terre et d’océan d’environ 24 millions de km2, soit près de 45 fois la
France. Exceptées les stations scientifiques, le continent Antarctique
est recouvert d’une gigantesque calotte de glace et s’étend sur 14
millions de km2. Il est totalement inhabité.
Par le biais des courants océaniques et atmosphériques, les extrémités
polaires sont en perpétuelle interaction avec les régions chaudes du
globe. Elles transfèrent l’énergie des hautes aux basses latitudes en
agissant comme un gigantesque thermostat planétaire. Mais cette
formidable mécanique a aussi ses revers, car les pollutions produites
par les pays industrialisés voyagent par les mêmes flux et contaminent
les écosystèmes.
C’est ainsi qu’en Antarctique on a décelé dans les tissus des manchots
un insecticide interdit en Europe depuis plus de 20 ans, et que des
substances toxiques ont été retrouvées dans la graisse de l’ours blanc
et dans le lait des femmes inuit dans le grand nord. Le plomb de notre
essence est détectable dans les glaces du Groenland et l’on trouve
autant de CO
2 dans la haute atmosphère de l’Arctique que devant nos
maisons !
En 50 ans la banquise arctique a perdu 40% de son épaisseur. Les
régions polaires se réchauffent deux à trois fois plus vite que le
reste de la planète, un phénomène qui va en s’accélérant. Au rythme
actuel, la banquise d’été pourrait disparaître d’ici à 2025 tandis que
la fonte des inlandsis fera augmenter le niveau des océans (+
6m pour le Groenland et + 56m pour l’Antarctique). La régression des
banquises restreint les territoires de chasse des espèces sauvages et
des populations humaines qui n’ont plus le temps de s’adapter à cette
débâcle accélérée.
Lorsque les banquises et les calottes glaciaires se disloquent, l’effet
miroir ou albédo, qui renvoie 80% des rayons du soleil dans
l’atmosphère, est atténué et ne peut réfléchir qu’une infime partie du
rayonnement. Une fois réchauffée, l’eau de mer accélère la fonte des
banquises et la terre, devenue également plus chaude, accélère celle
des glaciers continentaux. L’apport d’eau douce provenant des inlandsis
contribue à diminuer la salinité de l’eau de mer et à en modifier la
densité. Ces transformations pourraient perturber le régime des
courants océaniques, comme le Gulf Stream qui tempère le climat de
l’Europe Occidentale et distribue les nutriments indispensables à la
vie marine.
Le sol gelé en permanence, ou permafrost, dégèle. En Arctique, les
habitations construites sur ce socle se fissurent et les côtes reculent
à cause de l’érosion de la mer. Plus au sud, le sol se ramollit et la
forêt s’affaisse. La fonte du permafrost, qui s’est constitué au fil
des millénaires par l’accumulation de matière organique, libère dans
l’atmosphère un gaz à effet de serre extrêmement puissant : le
méthane.
Les passages du Nord-ouest et du Nord-est, jusqu’alors emprisonnés par
les glaces les 3/4 de l’année, ont été pour la première fois
navigables en même temps en 2008. Dans le futur, ces voies maritimes
vont permettre aux navires de rallier l’Atlantique au Pacifique par le
nord, sans emprunter les canaux de Suez et de Panama. De nouvelles
infrastructures portuaires verront le jour. L’exploitation des
ressources de l’Arctique, comme le gaz et le pétrole, deviendrait
possible et augmenterait dangereusement la pollution dans ces régions
jusque-là préservées.
Déserts et milieux arides
Les déserts se caractérisent par une aridité extrême, par des
températures excessives (positives ou négatives) et des vents
desséchants. Selon d’UNESCO, 53 pays ou régions du gobe posséderaient
des déserts et des zones semi-désertiques, ce qui représente plus d’un
tiers des terres de la planète.
Les déserts chauds sont situés entre les 15ème et 40ème degrés de
latitude nord et sud. Les déserts littoraux sont drainés par des
courants océaniques froids et des vents chauds venant de l’intérieur
des terres. Les déserts continentaux, très éloignés des océans, ont des
hivers froids et secs. Les déserts vrais ou
« milieux abiotiques », c’est-à-dire sans aucune vie, sont
extrêmement rares.
Presque partout sur la planète, les déserts avancent. Ce processus,
appelé désertification, relève de nombreux facteurs liés à l’évolution
du climat et aux déséquilibres écologiques d’origine humaine. Le
défrichement et le surpâturage font régresser le couvert végétal,
l’agriculture irriguée épuise les nappes souterraines et induit une
forte salinisation des parcelles où plus rien ne pousse.
Lors des épisodes de sécheresse, la flore dépérit, la faune sauvage
meurt, les animaux domestiques transhument vers les puits qu’ils
assèchent et rasent ce qui reste de la végétation. Ces extinctions de
plantes, conjuguées aux prélèvements excessifs de bois de chauffage,
sont supérieures à la possibilité de renouvellement naturel et frappent
précisément les rares espèces susceptibles de survivre dans de tels
milieux.
Ces régions sont continuellement remodelées par le vent et parfois par
des crues aussi brèves que dévastatrices. Au retour de la pluie, mais
aussi grâce à l’intervention de l’homme, le désert peut
reculer : plantations d’arbres pour retenir l’eau,
stabilisation des dunes avec des graminées spécifiques, développement
du goutte à goutte pour les petites cultures, construction de
brise-vents et de barrières contre l’érosion, irrigation mécanique
raisonnée sont autant de réponses possibles.
La désertification menacerait plus de 20% des terres de la planète.
Elle pourrait non seulement anéantir les civilisations traditionnelles,
mais également des sociétés plus avancées, comme c’est le cas en
Australie où 50% des terres subissent la sécheresse et sont victimes
des incendies, ce qui modifie le climat local, accélère le processus de
désertification et contribue au réchauffement global.
Dans les pays en voie de développement, l’accroissement de la
population dans la périphérie des régions arides entraîne une forte
augmentation des besoins en matières premières issues de l’agriculture
et de l’élevage, des activités qui nécessitent beaucoup d’eau. Lorsque
cette ressource fossile sera épuisée, ce qui à prévoir dans les
décennies à venir, il ne faudra plus compter que sur l’eau
renouvelable, issue du cycle naturel. Cette pénurie de ressources
amplifiera la pauvreté et la détresse sociale.
Les régions de montagnes
Sauvages et inhospitalières, les montagnes sont naturellement battues
par d’impitoyables fléaux comme les crues, les avalanches et les
éboulements. Elles couvrent près d’un quart de la surface terrestre et
sont les châteaux d’eau douce de la planète, sources des plus grands
fleuves.
Ces territoires reculés étaient jadis considérés comme inaccessibles.
Brigands et marginaux s’y réfugiaient et entretenaient le mystère et la
crainte. Mais au fil des siècles, les régions de montagnes ont été
progressivement colonisées, envahies par l’agriculture et l’élevage,
investies par les infrastructures de tourisme.
Pour satisfaire les nouveaux besoins en matières premières créés par
l’explosion démographique qui sévit dans les pays du sud, les espaces
montagnards sont remodelés par les populations rurales afin d’aménager
des parcelles cultivables et déboisés pour en faire des pâturages.
Privés de leur couverture végétale, ces espaces nus et pentus sont
lessivés par les précipitations qui engendrent des coulées de boue et
des glissements de terrain.
Globalement, la fonte des glaces enclenchée depuis la fin du petit âge
glaciaire, il y a 200 ans, s’accélère sur l’ensemble de la planète. Les
glaciers de montagne ont perdu la moitié de leur volume et ont reculé
de près de 500 mètres en 150 ans, hormis quelques exceptions. Les
glaciers himalayens, qui alimentent les principaux fleuves du
sous-continent indien, reculent de plus de 9 m chaque année et ont
perdu 85 cm d’épaisseur par an entre 1999 et 2004. Dans les Andes, le
problème est identique. A un tel rythme, tous les glaciers de montagne
de la planète pourraient avoir disparu d’ici la moitié de notre siècle.
La couche neigeuse qui s’amenuise depuis la fin des années soixante, ne
contribue plus à la régénération des glaciers et des névés permanents.
80% des neiges du Kilimandjaro ont fondu, si bien que les populations
vivant à proximité n’ont plus d’eau. Le réchauffement climatique
accélère la fonte des glaciers qui vidangent littéralement leurs stocks
d’eau douce par des écoulements de surface, sans recharger les réserves
souterraines. Au Népal et au Bhoutan, ces crues continuent de gonfler
le niveau de certains lacs, aujourd’hui menacés de rupture.
Cette fonte accélérée perturbe l’équilibre hydrique de pays qui sont
rarement responsables du réchauffement en cours. Surnommé le troisième
pôle, avec ses réserves de neige et de glace, le plateau tibétain
alimente en eau à lui seul plus de deux milliards d’êtres humains.
Partout dans le monde, lorsque que les glaciers ne pourront plus
nourrir les grands fleuves, la pénurie d’eau pourrait aussi avoir un
impact sur la production d’électricité d’origine hydraulique et sur les
systèmes de refroidissement des centrales thermiques.
1/10ème de la surface terrestre est recouverte de glaciers qui
renferment plus de 75% de l’eau douce de la planète. A l’instar des
inlandsis, les glaciers de montagne disparaissent plus vite qu’ils ne
se régénèrent. Cet apport d’eau douce, comme celui des calottes
glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, contribue à l’élévation du
niveau des océans.
Les forêts tropicales humides
Ces forêts denses, appelées aussi forêts pluviales ou forêts
ombrophiles, sont situées de part et d’autre de l’équateur, là où les
pluies sont les plus abondantes. Plus de la moitié de celles-ci se
trouvent en Amérique Centrale et du Sud, les autres sont en Afrique et
en Asie. Elles couvrent 17% des terres émergées, dont seulement 6% pour
les forêts primaires vierges de tout impact humain, mais abritent plus
de 50% de la diversité biologique de la Terre. Chaleur constante et
humidité excessive sont la cause de cette abondance de vie. Aucun autre
habitat de la planète présente une telle richesse et complexité
biologiques. Dans les forêts primaires, les arbres peuvent atteindre 60
mètres de hauteur, et c’est dans la canopée, la strate arborescente
supérieure, que la vie est la plus intense et la plus méconnue.
Les forêts procurent un habitat pour les espèces sauvages, fixent le
sol et retiennent l’eau, contribuent à la formation des nuages par la
transpiration des arbres et stockent le carbone atmosphérique. Ces
écosystèmes jouent donc un rôle majeur dans l’équilibre écologique et
climatique de la planète.
Chaque année, l’homme détruit environ 150 000 km2 de forêt tropicale,
soit l’équivalent de 25 départements français ! Le commerce du bois, la
construction de barrages et de routes, l’élevage, le défrichement des
parcelles pour l’agriculture et l’exploitation minière sont les causes
de cette déforestation intensive. Les incendies géants des chantiers
d’abattage produisent une importante quantité de CO
2 qui contribue au
réchauffement planétaire. Depuis le début de ce siècle, la cadence de
déforestation s’accélère, malgré les nouvelles mesures d’exploitation
raisonnée.
L’Amazonie est défrichée pour élever du bétail et cultiver du soja, les
forêts de Bornéo sont rasées pour planter des palmiers à huile et les
jungles du Congo sont exploitées pour leurs ressources minières et les
bois rares. Seulement la moitié des arbres abattus en Amazonie arrive
sur le marché, alors qu’il faut parfois des siècles pour régénérer une
forêt primaire ! Une fois déboisés, les sols sont rapidement
lessivés et le processus de désertification se met en marche.
En Amérique du Sud, les rejets de boue des exploitations minières
perturbent les écosystèmes aquatiques et le mercure utilisé pour
l’extraction de l’or engendre des maladies au sein des populations.
Dans ces forêts, qui sont aussi le plus grand réservoir de molécules
nécessaires à l’élaboration des médicaments de demain, la biodiversité
s’amenuise à un rythme alarmant alors que de nouvelles maladies
menacent l’ensemble de l’humanité… On estime qu’une espèce sur 10
recèle une substance active utilisable en pharmacie. Rien qu’en
Amazonie, plus de 100 espèces disparaissent chaque jour et à jamais, et
si la cadence de déforestation de Bornéo ne ralentit pas, l’île sera
complètement rasée d’ici 15 ans ! Cette destruction aveugle
des grandes forêts tropicales risque d’anéantir totalement ces milieux
d’ici la moitié du siècle.
Pourtant des solutions existent : respect des quotas
d’abattage, replantation de jeunes pousses, développement d’une
agriculture respectueuse, labellisation des bois exotiques, création
d’espaces protégés… Mais celles-ci contreviennent trop souvent aux
intérêts économiques immédiats.
Pour que la Terre soit en bonne santé, ses forêts doivent l’être
également.
Mers et océans
Près des 3/4 de la surface de la planète sont recouverts d’eau salée.
Cette colossale masse d’eau peut stocker 1000 fois plus de chaleur que
l’atmosphère et joue un rôle fondamental dans la régulation du climat
et le maintien de la vie. Grâce à la photosynthèse du plancton végétal,
les océans sont les premiers producteurs d’oxygène de la
Terre : 70% de l’oxygène que nous respirons provient des
océans. Comme les forêts, ils absorbent le CO
2 atmosphérique et
contribuent au recyclage de l’eau.
Du microscopique phytoplancton à l’énorme baleine bleue, les océans
abritent des formes de vie originales et surprenantes. Plus de 13 000
espèces de poissons ont été répertoriées. La biomasse des océans,
c’est-à-dire la masse de matière vivante, est plus importante que celle
des forêts de la planète.
Les courants marins animent en permanence les océans, tant en surface
qu’en profondeur et distribuent ainsi l’énergie et les éléments
nutritifs nécessaires à la vie sur l’ensemble du globe.
Malheureusement, des pollutions de toutes sortes empruntent le même
chemin et contaminent les écosystèmes.
Les dégazages et les marées noires souillent les côtes et déciment les
espèces. Charriés par les fleuves et le ruissellement, les substances
chimiques issues de l’agriculture polluent les eaux côtières et les
estuaires, des milieux qui concentrent le plus de vie sauvage. 75% des
pollutions marines proviennent des activités terrestres. Les littoraux
des pays industrialisés sont anarchiquement bétonnés et les pays
émergents se servent des océans comme d’une poubelle. L’augmentation du CO
2 atmosphérique acidifie l’eau de mer et menace les petits
organismes, premiers maillons de la chaîne alimentaire. Les emballages
alimentaires piègent les tortues et les dauphins, des kilomètres de
filets reposent dans les profondeurs aux cotés des épaves de
sous-marins nucléaires, tandis que les nuisances sonores provoquées par
les sonars des navires militaires désorientent les cétacés…
Surexploitées par une armada de navires usines, les réserves
halieutiques s’amenuisent dangereusement. La pêche industrielle décime
de nombreuses espèces, y compris des abysses, et génère un grand
gaspillage. Les ¾ des zones de pêche sont plus ou moins épuisées et la
grande faune, au cycle de reproduction long, n’a pas le temps de se
régénérer. On estime que les océans seront stériles en 2050.
Conséquence du réchauffement de la planète, l’élévation de la
température de l’eau constatée jusqu'à 3000 mètres de profondeur,
provoque la mort des coraux qui abritent plus de 25% de la biodiversité
marine. L’augmentation de la température pourrait également modifier la
circulation océanique mondiale, en particulier celle du Gulf Stream qui
régule le climat de l’Europe occidentale.
Le niveau des océans s’est élevé de 1,7 mm par an au cours du siècle
dernier, et de 3,1 mm par an depuis le début du 21ème siècle. Si ce
processus venait à s’accélérer, comme le prévoient la plupart des
experts, des estuaires, des atolls et des villes côtières seraient
noyés. Même si nous parvenions à stopper nos émissions de gaz à effet
de serre, les océans continueraient de monter, uniquement par
dilatation, sans même tenir compte de l’apport des eaux de fonte des
glaciers continentaux et des calottes glaciaires. Depuis plus de 10
ans, l’immersion des atolls du pacifique sud condamne les familles à
s’exiler dans les ghettos des îles voisines. Il pourrait y avoir 250
millions de réfugiés climatiques d’ici la moitié du siècle.
Dans les zones d’estuaires et les mangroves, la montée des océans
induit la salinisation des nappes souterraines et rend l’eau
douce impropre à la consommation. Plus de 70% de la population mondiale
vit le long d’une mer ou d’un océan et dépend de ses ressources.
L’océan constitue un enjeu crucial pour la planète et l’humanité.