Réconcilier l'homme et la nature
En voulant dominer la nature, l’homme s’est imaginé qu’il pourrait
évoluer vers plus d’intelligence, de liberté et de pouvoir. Au
contraire, en agissant ainsi, il s’est littéralement désaccordé de la
grande harmonie de la vie et s’est rendu encore plus vulnérable.
Diviser l’homme et la Terre, c’est chasser l’habitant de sa maison.
Notre
espèce est constituée des mêmes atomes qui forment la matière qui
l’entoure. Si l’homme acceptait qu’il est le frère biologique de la
nature qu’il détruit, il finirait peut-être par la considérer autrement
et par se respecter lui-même davantage. Le poète touareg Ibrahim Al
Koni écrit : « Nous faisons périr le corps de la
nature en
oubliant que c’est le notre ».
Pendant que les
politiques reverdissent l’ancien système qui grignote la
planète
au détriment des libertés humaines et de la nature sauvage, les
écologistes « scientifiques » sont encore taxés
d’alarmistes ! Cet antagonisme inutile et stupide révèle
l’absence
de spiritualité en la matière, alors que c’est peut-être sur ce point
précis que notre civilisation devrait œuvrer pour élargir sa vision
d’ensemble.
Agir à partir des seuls constats écologiques à
grands coups de développement durable ne fera que panser des plaies mal
cicatrisées. Si l’idée forte de Nature doit reprendre sa place au cœur
des société, l’homme doit d’abord retrouver la sienne auprès de la
nature. Sans cela, le combat écologique échouera.
En associant
l’émerveillement à la connaissance, les témoins du monde, reporters,
explorateurs ou grands voyageurs tentent d’alerter le public sur la
nécessité de comprendre et d’aimer la planète pour mieux la préserver.
Cette méthode de sensibilisation a non seulement contribué à
l’émergence d’une prise de conscience environnementale, mais a aussi
initié l’idée que nous pourrions évoluer vers une nouvelle forme de
pensée écologique, une sorte de philosophie hybride, située au
carrefour de la science, de la politique et de la pensée mystique,
influencée par la sagesse des sociétés traditionnelles.
Quelque
soient les croyances des peuples tribaux, tous ont en commun un profond
respect pour ce qui est lié à la matière et aux éléments. Le sacré, ou
le divin, vit en toute chose. Dans la terre et dans l’eau, dans l’air
et dans le feu, dans la plante et l’animal, dans l’homme. Sur le plan
spirituel tout est lié, ce qui induit nécessairement une forte intimité
entre l’homme et son milieu. Ces sociétés primitives ont su s’adapter à
leur environnement sans pour autant le détruire, depuis des siècles et
parfois même depuis des millénaires. « Ce n’est pas de parler
aux
animaux, aux plantes ou aux éléments qui est surnaturel, c’est la façon
dont on vit aujourd’hui », dit Aigle Bleu, porte parole de la
nation Cherokee.
Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés à
cette rupture ? Si l’on se penche un peu sur notre histoire, on
s’aperçoit que certaines étapes de notre développement nous ont
doucement éloignés de la nature originelle. Le divorce homme-nature,
même s’il s’est considérablement précipité ces 50 dernières années,
remonte probablement à des époques beaucoup plus éloignées.
La révolution
néolithique
Il
y a 10 000 ans l’agriculture apparaît presque simultanément dans
différentes régions du monde. Des parcelles de terre sont défrichées et
cultivées, les animaux sauvages sont domestiqués. Cette invention
géniale permet à l’homme de s’ouvrir vers de nouvelles technologies et
d’abandonner progressivement la cueillette et la chasse, beaucoup plus
aléatoires. L’homme devient propriétaire et gestionnaire de la terre et
son cheptel est désormais parqué. Ces nouvelles possessions modifient
son rapport à la nature. Néanmoins, l’homme craint et vénère les
éléments et ses divinités se manifestent en toutes choses.
Les religions
monothéistes
Au
fil des millénaires arrivent le judaïsme, le christianisme et l’islam.
Les religions monothéistes ont tué les dieux de la terre en repoussant
les croyances païennes qui jusque-là glorifiaient la Nature Mère.
Désormais, l’idée que l’homme est supérieur au reste de la création est
validée par Dieu ! Si l’on part de ce constat, il paraît
difficile
de changer notre système de pensée sans s’affranchir de cet héritage
religieux.
L’accélération
Avec les grandes
découvertes, l’assimilation des peuples primitifs aux religions
dominantes, la colonisation… les grandes civilisations continuent
d’affirmer leur domination sur la Terre. L’homme civilisé adapte la
nature à ses besoins et non l’inverse. Au 19
e
siècle, Darwin avance
sa théorie sur l’évolution des espèces : la sélection
naturelle.
Au début récusée par la communauté scientifique, celle-ci finira non
seulement par être acceptée, mais influencera largement l’essor de la
société moderne. Dans la nature, c’est le plus fort qui gagne ; en
d’autres termes, une société qui grandit est une société qui doit se
battre pour être la plus forte, la plus riche, la plus rapide, la plus
vorace… Appliquée à nos sociétés, cette compétitivité que l’on appelle
aujourd’hui le darwinisme social, génère les conflits économiques que
l’on connaît. Selon la formule de Gandhi, « œil pour œil et
dent
pour dent ne fera jamais que des édentés et des
aveugles » !
Dans la nature, les choses ne se passent pas toujours ainsi. Il existe
de nombreuses formes de mutualisme entre les espèces elles-mêmes et
leur milieu de vie qui démontrent qu’il est tout à fait possible de
survivre et d’évoluer tout en limitant les rivalités. La civilisation
du toujours plus et toujours plus vite a fini par complètement
bouleverser les rythmes qui ont accompagnés l’homme dans son
développement : cadences des saisons, déplacements lents,
temps de
préparation des aliments et de la construction d’un abri ou tout
simplement des battements de son cœur. Un chef sioux disait
« le
cœur de l’homme éloigné de la nature devient dur ».
L’anthropocentrisme
Pour
le primitif, l’homme appartient au monde et pour le civilisé, le monde
lui appartient ! Cette réalité n’a rien à voir avec le mythe
du
bon sauvage. C’est un constat. Une vérité, comme on l’a vu,
« validée » par Dieu et par la science, qui fait
culminer
notre espèce au sommet de l’évolution. Malgré les prodigieuses avancées
de notre civilisation, malgré la multiplicité des médias qui nous
donnent l’impression de tout connaître et de tout maîtriser… la guerre,
l’exclusion, la misère et le pillage organisé de la planète sont en
pleine expansion ! Notre perception de la réalité est
tellement
troublée par cette illusion que l’on a fini par oublier que notre vie
dépend entièrement de la nature. Il est primordial de réapprendre la
nature à l’homme en œuvrant à la source même, c’est-à-dire dans les
écoles. Sans changement d’éducation, il n’y aura pas de changement de
société. Un grand chantier ! Comme le dit Pierre Rabhi,
«quelle
planète laissons-nous à nos enfants ? Mais quels enfants
laisserons-nous à la planète ? »
La peur de la nature
Nos
sociétés surdéveloppées, paradoxales et hypocrites, entraînent toujours
plus de méfiance, de peur et de paranoïa. Et c’est cette même peur qui
éloigne l’homme de la nature sauvage. Peur des intempéries, peur de ce
qui pique ou de ce qui sent mauvais, de ce qui est organique. Peur de
nous-mêmes et de l’autre, de notre « viscéralité »,
de notre
côté reptilien… L’homme aime bien la nature quand elle est confortable
et à bonne température et peut éventuellement tolérer ses semblables
tant qu’ils ne sont pas trop différents ! En toute chose, la
peur
d’avoir peur n’arrange rien à rien. La peur est partout visible. Yvan
Amar nous dit que « celui qui vit dans la peur et dans
l’urgence
vit dans la rupture avec l’autre », et c’est ce qui se passe.
Rupture avec la nature, rupture avec soi-même, rupture avec les autres.
La grande illusion
Le
divorce entre l’homme et la nature menace tout autant l’humanité que la
planète elle-même. Nous vivons une époque charnière. Ne serait-ce que
dans l’hexagone, les phénomènes météorologiques dévastateurs
s’amplifient, les cycles de la vie sauvages sont perturbés, des
maladies nouvelles émergent. Heureusement, la prise de conscience
environnementale touche chaque jour davantage de personnes. Toutefois,
les manœuvres de sensibilisation à la noble cause sont loin d’être
toujours honnêtes ! Manipuler le peuple à grands coups de
catastrophisme et de morale éco-citoyenne commence à excéder les gens
qui n’éprouvent pas d’intérêt particulier pour la nature. Les discours
de culpabilisation verte, rondement menés par les ténors de
l’éco-communication, profitent aux climato-sceptiques et autres
opposants à l’écologie qui ébranlent l’opinion pendant que certains
s’enrichissent en polluant proprement ! Cette prise de
conscience
évoluerait 100 fois plus lentement que les phénomènes que l’on essaye
d’enrayer. Si l’idée que la planète agonise est intégrée, la plupart
des gens continuent de s’éloigner de la nature ou l’apprécient
uniquement « sous cloche ». En parlant de notre
rapport à la
nature sauvage, François Terrasson, maître de conférence au muséum
d’histoire naturelle, disait avec humour : « la
véritable
nature sauvage c’est là où la main de l’homme n’a jamais mis les
pieds ; quelle dose de nature apprécions-nous, pure ou bien
diluée
dans l’humanisation ? »
Pour conclure
J’aimerais citer quelques auteurs qui décrivent chacun à leur manière
ce lien qui nous unit au reste de l’univers.
« J’appartiens au mystère de la vie et rien ne me
sépare de rien. » Pierre Rabhi
« Seule
une philosophie et une spiritualité remettant en cause la volonté de
puissance et l’anthropocentrisme qui parcourent la pensée
occidentale sont à même de sauver l’homme de son divorce avec la nature
et avec lui-même, vraie cause da la crise du monde moderne. Si l’homme
cessait de se considérer comme l’aboutissement linéaire de l’évolution,
notre vision du monde changerait radicalement. » Rolland de
Miller
« Nous sommes de la poussière d’étoile. »
Hubert Reeves
« Et
si ce que nous appelons avec un aveuglement misérable, notre
environnement, toute cette vie qui est là, partout, n’espérait de nous
qu’un signe, fut-il de vermisseau, pour que commence enfin non pas
l’apocalypse redoutée, mais une inimaginable fête de
retrouvailles ? » Henri Gougaud
« Un être humain
fait partie d’un tout que nous appelons : l’univers ;
il
demeure limité dans le temps et l’espace. Il fait l’expérience de son
être, de ses pensées et de ses sensations comme étant séparé du reste,
une sorte d’illusion d’optique de sa conscience. Cette illusion est
pour nous une prison, nous restreignant à nos désirs personnels et à
une affection réservée à nos proches. Notre tâche est de nous libérer
de cette prison en élargissant le cercle de notre compassion afin qu’il
embrasse tous les êtres vivants et la nature entière dans sa
splendeur. » Albert Einstein