Le piton dénudé
2003 – Guyane
française – Ascension
d’un inselberg dans le centre de la Guyane
Perdu au cœur de la grande forêt vierge, il paraît qu’il existe un
« monde perdu », une sorte de sanctuaire écologique
quasi inexploré qui abriterait des espèces que l’on ne trouve nulle
part ailleurs… Ce « piton dénudé », comme il est
mentionné sur une vielle carte en noir et blanc, est ce que l’on
appelle un inselberg, littéralement une « montagne
île », qui surplombe les géants de la forêt primaire.
Constituée d’une roche ferrugineuse qui perturbe les boussoles et
entourée d’une jungle inextricable rendant les GPS inutilisables, cette
montagne serait d’autant plus inaccessible qu’il faut compter environ
20 jours de canoë, en saison sèche, pour ne serait-ce qu’atteindre son
périmètre ! Deux équipes seulement auraient exploré le site…
Pendant 60 jours et chargés de 200 kg de vivres et de matériel, Bruno
Lambert et Fabrice Rosa sillonnent les cours d’eau guyanais sur un
canoë pneumatique fragilisé par le volume et le poids des équipements.
La navigation est délicate, les rivières sont en partie asséchées et
désespérément obstruées de chablis. Dans cet enfer végétal, les deux
hommes sont entièrement livrés à eux-mêmes et particulièrement
vulnérables. Chacun doit connaître sa place et la garder… sinon tout
peut basculer.
Au bout du 30ème jour d’expédition, ils atteignent un site qu’ils
baptisent camp Piton, point de départ des explorations pédestres.
L’ambiance est tendue, les deux voyageurs ne se parlent pratiquement
plus. La touffeur équatoriale exacerbe les esprits. Les traces de
grands félins abondent et seuls les singes et les oiseaux énigmatiques
du « grand bois » s’approprient l’espace sonore.
L’inselberg n’a jamais été aussi près… Mais où exactement ?
Après 48 heures de marche harassante, ils entrevoient le piton qui
émerge de la canopée d’à peine quelques dizaines de mètres et
gravissent facilement le sommet étrangement coiffé d’une perruque
végétale qui contraste avec l’âpreté minérale. D’ici, l’horizon s’étend
à perte de vue en direction du Brésil et des monts Tumuc Humac, tant
convoités par les chercheurs d’Eldorado, du Surinam, ainsi que sur
l’ensemble du massif guyanais. La chaleur et le degré d’humidité sont
épouvantables. Les caméras et les appareils photos fonctionnent par
à-coups et le temps manque aux deux aventuriers pour explorer
méthodiquement le site.
Les inselbergs tropicaux, à l’instar des autres écosystèmes isolés,
comme les îles, les grottes ou les cratères, présentent des
caractéristiques écologiques et physiques particulières :
chaleur extrême, sol lessivé, roches délitées, espèces endémiques...
Disséminés un peu partout dans les régions les plus reculées de la
planète, ces mondes perdus sont amenés à disparaître sans même avoir
été explorés, tellement la mécanique de destruction en cours grignote
chaque jour les ultimes espaces de forêt vierge qui les protègent de
notre monde.